CELEBRER LE VIVANT
« Rien ne nous est donné pour nous écraser » – Christiane Singer
Janvier 2024
2023 m’a guidée vers 2024 en m’offrant une expérience initiatique pour me rappeler à quel point il était essentiel de célébrer le Vivant. Pour questionner la place de l’humain sur cette Terre. Et pour m’apprendre à m’abandonner, encore et encore, à la Vie, au-delà de l’ego. J’ai à coeur de partager cette expérience, pour illustrer comme le yoga est un chemin de vie et ses fondements des guides. Pour illustrer par la pratique ce que la théorie nous enseigne !
La voie du yoga nous apprend et nous demande de faire confiance, lâcher prise, nous abandonner à la Vie. Dans ses Yoga Sutras, texte fondateur nous donnant les clés pour la pratique du hatha yoga, Patanjali nous dit « Par la confiance totale en la vie, en vous et les autres, vous pouvez réaliser l’unité » 1. L’unité est un état de paix, où il n’y a plus de dualité intérieure. Où l’acceptation de ce qui est est total. Quelles que soient les circonstances. La vie nous envoie les épreuves nécessaires pour avancer vers l’unité. Et au coeur de la tempête, il n’est évidemment pas aisé de tenir le cap et garder confiance. Parce qu’en dehors du tapis, et bien loin de toutes ces petites phrases sur les réseaux sociaux qui nous donnent le mode d’emploi, nous savons à quel point la résistance peut être forte quand la souffrance se présente.
Une épreuve m’est arrivée alors que j’étais déjà à bout émotionnellement, après plusieurs mois de tempête intérieure si rude qu’il m’était parfois difficile de me lever le matin. J’avais la terrible sensation que je ne pouvais plus rien encaisser, j’attendais les vacances pour couper et me ressourcer. Il me restait juste l’énergie nécessaire pour arriver en bout de course et poser mes valises sur la ligne d’arrivée des 15 jours de vacances. Le 15 décembre au soir, ma chienne a disparu. J’étais bien évidemment très attachée à ma chienne. Mais quand elle disparut, je compris que c’était un membre de ma famille. Je me suis alors souvenue du peuple bishnois, considéré comme le 1er peuple écologiste, qui estime que « hommes, animaux et plantes ont la même valeur« 2 Je me suis sentie si proche de cette pensée. J’ai été prise aux entrailles. Une nuit, 2 nuits, le brouillard et le froid étaient de mise. Nous l’avons cherché des heures durant (et avons reçu une solidarité magnifique notamment grâce aux réseaux sociaux, quel réconfort). Finalement, elle réapparut 2 jours 1/2 plus tard, grièvement blessée. Elle avait été renversée par une voiture puis s’était réfugiée dans la forêt, le temps de récupérer l’énergie minimum pour pouvoir revenir au foyer. Aux urgences, l’équipe vétérinaire se voulut rassurante, nous annonçant rapidement qu’elle était très abimée, plusieurs hématomes aux poumons, une fracture à la patte, une plaie béante de plusieurs centimètres l’os à vif, plusieurs autres plaies, 3 kgs en moins, dénutrie-déshydratée. Mais elle récupèrerait plutôt bien. Elle était vivante et c’était déjà un miracle de l’avoir près de nous. Mais le lendemain, le verdict tomba : si sa plaie ne se remettait pas rapidement, il faudrait amputer. Certes, « un chien vit bien à 3 pattes », on nous l’a répété inlassablement. Mais ça me semblait inenvisageable. Elle, chasseuse, adorant courir à corps perdu… je ne pouvais pas laisser les choses se faire sans agir. Krishna dans la Baghava Gita 3nous le transmet : « Remplis ton devoir, car l’action vaut mieux que l’inaction. Sans agir, l’homme est incapable de veiller à ses plus simples besoins ». 4
Pendant 2 jours, j’étais dans le brouillard. J’avais perdu mon intuition ; ce qui m’arrivait rarement dans les tsunamis émotionnels. Aucune piste, aucune pensée. J’étais anéantie, par la fatigue émotionnelle, la peur de l’amputation, la culpabilité (elle a disparu car elle s’est enfuie lors d’une promenade et a traversé la route où elle s’est faite renverser par une voiture, je m’en sentais pleinement responsable). Par les mois extrêmement difficiles que je venais de traverser personnellement. Je n’avais plus de ressources. Je n’arrivais pas à méditer ou peu, ni à pratiquer les pranayamas, encore moins les asanas. Les effets de cet accident ont été si forts car j’étais déjà très affaiblie. Mais c’est aussi pour cela que l’expérience a été initiatique. Je me rappelais l’enseignement de Christiane Singer : « Rien ne nous est donné pour nous écraser » . Je demandais à la vie de m’aider. Au bout de 2 jours, alors que je guidais une méditation pendant un cours de yoga, le visage de sainte Thérèse de Lisieux m’apparut. Je ne suis pas catholique de confession; je me retrouve plutôt dans l’expression de Christiane Singer « athée aimante » ou « chercheuse ardente », et j’ai une relation particulière avec Sainte Thérèse, que j’eus la sensation de rencontrer à l’âge de 10 ans lors d’une sortie culturelle à la basilique de Lisieux. Et j’entendis cette phrase « tu dois faire confiance jusqu’au bout ». Je compris que je ne lâchais pas complètement. Car il m’était impensable d’accepter l’amputation. Cette résistance m’empêchait de faire confiance totalement. J’avais le souhait de maitriser le cours des choses. De décider qu’on ne l’amputerait pas et trouver la bonne personne qui validerait ma décision. Mon ego était au contrôle de la situation. Le temps pressait, je m’en épuisais. Lâcher, donc… et faire confiance. « La Vie sait ce qu’il faut faire mieux que nous. Notre tâche est simplement de lâcher prise et d’accepter chaque moment avec un coeur ouvert et de danser habilement avec elle ».5 Lâcher et accepter, cela voulait dire envisager toutes les possibilités inhérentes à l’expérience. De la guérison à l’amputation. Là où je me trompais, c’est que d’une part, je souhaitais tout mettre en oeuvre pour la guérir et qu’elle garde absolument sa patte; d’autre part, je m’attribuais déjà le résultat potentiel positif de l’expérience, et restait ainsi dans la toute-puissance. Ce qui expliquait l’absence de mon intuition. Je n’étais plus au service de la vie, dans l’abandon et le lâcher prise, mais je cherchais à contrôler pour apaiser mes angoisses, et satisfaire mon ego. Ce que j’avais à faire, là où était ma responsabilité, c’était faire tout ce que je pouvais faire sans rien attendre. L’action désintéressée du karma yoga. Et accepter l’issue de l’expérience, quelle qu’elle soit: « Ainsi, l’homme doit agir par sens du devoir, détaché du fruit de ses actes, car par l’acte libre d’attachement, on atteint l’Absolu » .6
Le lendemain au réveil, mon intuition revint. Le nom d’une personne de notre entourage me traversa. Je le sentais, elle pourrait nous aider. Elle répondit dans l’instant, me dirigea vers une vétérinaire qui m’accueillit chaleureusement et fut très claire avec moi : « Il y a peu de chances. Mais on peut essayer. Si c’était ma chienne, je le ferais ». Un échange de regard me fit comprendre que nous étions toutes les 2 connectées à cette force plus grande que nous et que nous étions au service de celle-ci. Que nous devenions des instruments pour oeuvrer la vie. Et au service de ma chienne. Je lui fis part de mes envies d’essayer la musicothérapie, l’homéopathie, des soins énergétiques, et au-delà de tout, la transmission d’amour immense et en laquelle je croyais plus que tout. Nous étions très entourées : des proches, nombre d’élèves, et même des inconnues rencontrées sur les réseaux lors de la disparition pensaient à elle et lui envoyaient des vibrations d’amour. Chaque jour, pendant 2 semaines, je recevais des témoignages d’affection pour elle. Cela m’a bouleversée. Je me mis à son entière disposition. J’ai cuisiné ses repas, j’ai médité près d’elle, j’ai mis du Bach et du Beethoven qui avaient l’air de l’apaiser. J’avais décidé de ne pas lui mettre de collerette, car j’avais observé que ça lui faisait se tordre le cou pour regarder, et je ne voulais pas qu’elle prenne ces attitudes, pour ne pas contrarier la circulation de l’énergie vitale. Tenségrité, coûte que coûte7! Je la veillais donc jour et nuit, pour ne pas qu’elle arrache ses pansements. Je sentais que j’étais sur la bonne voie. Je lâchais toutes les injonctions que je m’étais mise en tant que « maitresse de chienne » auparavant qui me faisaient parfois garder de la distance avec elle, et la considérais comme mon égale. En rentrant de vacances, mon fils me dit « qu’est-ce que tu lui as fait? Elle fait des câlins comme les humains, et toi tu marches à 4 pattes »!!! Nous avions passé plusieurs jours à 2, collées l’une à l’autre. Les neurones-miroirs étaient à l’oeuvre: « Les neurones miroir permettent de comprendre et de reproduire ce que font les autres; ils permettraient de comprendre, aussi, ce qu’ils ressentent »8. Ainsi, elle recevait par ces neurones tout l’amour que je lui portais. Et sa guérison était en route. C’était impressionnant. Les soins des 2 vétérinaires (basés sur le respect du vivant et le potentiel d’auto-guérison : laser pour faire saigner la plaie et redynamiser le processus de cicatrisation, puis crème au miel pour cicatriser !) étaient d’une efficacité sans mesure; ils n’en revenaient pas eux-mêmes. L’une me dit « ce sont nos soins et les vôtres qui la guérissent ». Elle bénéficia du surnom de « petite miraculée »….
Pola remarche depuis peu sur ses 4 pattes. Je ressors grandie de cette expérience. Elle m’a beaucoup appris : son amour inconditionnel envers moi, sa résilience, sa patience, sa façon de se respecter et de ne pas accepter la relation avec moi quand ça semblait être trop, ou trier sa gamelle pour manger ce dont elle avait besoin… La voie du yoga nous demande aussi humilité, et les animaux peuvent devenir nos maitres sur ce chemin ! Et c’est d’ailleurs en toute humilité que je partage cette expérience. J’ai bien conscience que cette réalité n’est que mienne et ne fait pas vérité pour autant. Et je ne mets pas sur le même plan les soins vétérinaires, sans lesquels évidemment elle n’aurait jamais guéri, et ce que j’ai fait pour Pola. Cela a peut être favorisé la guérison, j’ose le croire, mais ce n’est qu’une hypothèse que je pose, et je continuerai à explorer cette voie avec curiosité, foi et humilité en gardant les pieds sur terre !
« Je crois que les chiens et les chats remplissent une fonction vitale dans la conscience collective de l’humanité. Je les appellerai « Les Gardiens de l’Etre ». Ils nous montrent ce que nous avons perdu et, une fois que nous l’avons compris, ils peuvent nous aider à évoluer vers un état de conscience plus profond » Eckart Tolle
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1. https://www.idyt.com/les-yoga-sutras/ – Yoga Sutra, II, 45
2. Je vous invite à écouter l’émission passionnante pour les découvrir : https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/les-bishnois-premiers-ecolos-du-monde-et-nouveaux-guerriers-de-lenvironnement_2968671.html
3. La Baghava Gita est un des écrits fondamentaux transmettant la voie des Yoga
4. Verset 3.8 de la Baghava Gita
5. « Yamas and Niyamas », Deborah Adele
6. Verset 3.19 de la Baghava Gita
7. La tenségrité est un principe architectural défini par Buckminster Fuller : faculté d’une structure à se stabilier par le jeu des forces de tension et de compression qui s’y répartissent et s’y équilibrent. Le corps humain est un système en tenségrité. Le mauvais alignement du corps y engendre donc une mauvaise circulation de l’énergie vitale et crée des dysfonctionnements, et le potentiel de guérison est donc amoindri.
8. « D’un miroir l’autre. Fonction posturale et neurones miroirs » André Guillain, Renée Pry dans Bulletin de psychologie 2012/2 (numéro 518)