Chroniques d’une chercheuse ardente, n°2

LA SPIRALE , SOURCE DE VIE

 

La spirale est une des formes les plus reconnues dans la nature. « Les modèles de l’univers sont des spirales qui s’enroulent toujours vers l’extérieur et vers l’intérieur. » nous dit R. Buckminster Fuller, architecte visionnaire et père de la tenségrité.1 De la forme de l’ADN à celle de la coquille d’un escargot, de la fleur d’un brocoli à celle de la forme des os, la spirale est reconnue comme une forme sacrée, comme la suite de Bonifacci et le nombre d’or.2

 

 

 

 

 

La notion de spirale est arrivée dans ma vie par la méthode axis syllabus3, initiée par Frey Faust, qui révolutionna le mouvement par ses apports riches et poussés en biomécanique. J’étais alors danseuse en jazz. Je cherchais à l’époque à avoir les « meilleures lignes » possibles, comme il me l’était demandé de nombreuses heures pendant les cours. Plus je travaillais à chercher ces lignes, plus je m’abimais. Mais je pensais (comme tant d’autres…) que c’était le prix à payer pour atteindre un minimum d’alignement physique, donc de « grâce » et de « beauté ».
Quand je rencontrai Frey, j’avais 20 ans, je venais de passer 3 ans de souffrances dans une école de formation à l’enseignement de la danse jazz. Je dansais 8h par jour, j’avais mal partout, je cherchais à intégrer toutes ces informations qui me paraissaient contradictoires : « rentre le ventre et respire », « ouvre ta jambe en poussant ton genou sur le côté », « pense à tes angles », « lâche toi quand tu danses ». Ok, enfin lâcher quand on doit tenir et que ça fait mal partout….n’est certainement pas la voie à emprunter ! Tout cela me figeait, m’empêchait de respirer, de vivre le mouvement, de faire circuler l’énergie. Je ne le comprenais pas comme cela à l’époque. Ce que je pensais, c’est que je ne travaillais pas assez, ou que j’étais nulle… Oui ! C’est vrai, j’étais nulle pour rentrer dans une forme figée, douloureuse et pré-établie, qui ne respecte pas le corps et va à l’encontre du vivant ; j’étais nulle pour obéir à un diktat de la forme. Aujourd’hui, je m’en remercie vivement !! C’est donc à la recherche d’angles droits que je rencontrai Frey ! Ses recherches autour de la spirale m’amenèrent peu à peu à trouver de la rondeur, de la légèreté, du plaisir. Mes profs me traitaient d’éléphant quand je sautais, de maladroite et empotée quand je tournais, ou autre maltraitance ; je me retrouvai après quelques mois avec Frey à faire 5 tours sur un même pied avec une aisance jouissive, et sauter avec légèreté à en décrocher la lune….un autre chemin était donc possible.

Peu de temps après, je commençai le yoga. Dans l’enseignement que je recevai, je retrouvai cette recherche d’angles, ces douleurs physiques, ce sentiment d’avoir à entrer dans une boite. Après avoir eu le diplôme de mon école de formation (Fédération Française de Yoga) puis y avoir enseignée quelques années, je décidai d’en partir. Il ne m’était pas possible de coller à « YOGA », que j’imaginais voie vers la liberté (et à juste titre, je le confirme aujourd’hui!) un enseignement rigide et douloureux.

Après avoir fait plusieurs années de recherches avec des professionnels, j’ai transformé les postures traditionnelles en y ajoutant des spirales, c’est à dire des rotations et extensions dans différentes directions. Les placements corporels que je propose ont transformé ma pratique et celle de mes élèves. J’ai pu observer les corps se libérer, la légèreté et l’aisance corporelle apparaitre. Ce qui semblait difficile devient envisageable et mes élèves témoignent d’un sentiment agréable et d’une facilité à faire les postures.

En effet, les postures de yoga, ou asanas, sont souvent enseignées comme rectilignes, angulaires. Lorsque l’on regarde une photo d’une posture, dans la plupart des manuels de yoga, dans la globalité et sans prêter particulièrement attention à la finesse du placement du corps humain, il peut sembler que le placement du corps se fait à partir de lignes strictes à respecter. Ce qui crée une dualité intérieure car cela ne va pas dans le sens de notre morphologie. C’est un effet d’optique ! Les lignes apparentes sont souvent des successions de spirales !

Par exemple, prenons la posture de la montagne, tadasana, avec l’élévation des bras vers le ciel. Si l’on monte les bras directement sans cette notion de spirale, en gardant les coudes ouvert vers le côté, cela induit une tension au niveau des épaules et des cervicales. Amener une spirale ici crée une bien plus grande aisance : la spirale vient de la rotation externe des bras (les coudes tournant donc vers l’avant) tout en allongeant les bras vers le ciel. Je vous invite à essayer ! Posez les 2 mains devant le cœur, les paumes des mains jointes. Montez les bras en gardant les coudes sur le côté jusqu’au dernier moment. Puis recommencez et ajoutez-y cette spirale (qui est, en fait, plus précisément une hélice : la spirale grandit alors que l’hélice garde la même amplitude). N’est ce pas plus agréable ?

J’ai le souvenir d’une élève qui fut traversée d’une grande émotion la première fois qu’elle comprit ce placement. Elle avait régulièrement des douleurs aux épaules, se sentait limitée et rétrécie dans cette phase de la posture. La spirale lui permit de lâcher les tensions profondes, elle retrouva sa capacité à tendre ses bras sans douleur.

Prenons un autre exemple. Une posture assise en torsion, Ardha Matsyendrasana.

Si l’on entre dans la posture en utilisant uniquement la rotation de la cage thoracique, on met en danger la jonction dorso-lombaire qui est fragile de part sa forme.Si l’on envisage une spirale qui partirait du bassin, en tournant la fesse gauche vers l’arrière pour amener l’épaule droite vers l’avant, une aisance à nouveau advient rapidement.

 

Il est aussi dit que la kundalini, ou énergie vitale, serait lovée à la base de la colonne vertébrale et remonterait en spirale le long de la colonne quand elle s’éveille. Ce dont je peux témoigner pour l’avoir vécu donc senti, c’est que lorsqu’elle remonte jusqu’au sommet du crâne, une sensation de spirale qui tourne à l’inverse des aiguilles d’une montre apparaît au sommet du crâne et une grande vitalité et lumière intérieure émergent. Travailler consciemment en créant des spirales dans le corps nous met en relation avec cette circulation énergétique, et soutient ce processus d’activation de la kundalini.

 

Intégrer les spirales dans les postures de yoga fut une révolution, et j’ai à cœur de les transmettre au plus grand nombre pour partager ce cadeau que j’ai reçu. Pratiquer avec les spirales, c’est pratiquer dans le sens de la vie, se relier à la forme universelle de la matière, s’abandonner à plus grand que nous : la voie même du yoga.

 

« La vie est une série de cycles, un peu comme une spirale, où chaque tournant nous plonge plus profondément dans les mystères de notre existence. »

RUMI

 

 

Illustrations : Delphine Garcia Debord

1Déf tenségrité : cf mn 1er article « Célébrer le Vivant » ici CELEBRER LE VIVANT – L’Ecole Nouvelle Vivre en Yoga (ecole-nouvelle-yoga.fr) https://www.youtube.com/watch?v=OvYm5qnKrIY